VDM comme vie de mangaka

Extrait d'un poster d'une exposition consacrée au mangaka Takehiko Inoue (crédit : Tomomi Sasaki http://bit.ly/YrFxDd)

Extrait d’un poster d’une exposition consacrée au mangaka Takehiko Inoue (crédit : Tomomi Sasaki Flickr CC by nc sa).

Lors du Salon du Livre de Paris, qui se tient de vendredi à lundi à Paris, pas moins de six mangaka (漫画家), dessinateurs de mangas, seront présents afin de parler de leur art, entre splendeur et labeur.

Chaque année sa place grandit dans les rayons de librairie, chaque année il met un pied de plus dans le paysage culturel français. Le manga a gagné en quinze ans ses galons d’art et de marché à part entière dans l’hexagone. Ce n’est pas un hasard si cette année encore le manga tiendra une place importante au Salon du Livre de Paris. Des remises de prix, des défilés cosplay, des conférences… Et bien sûr plusieurs mangaka viendront à la rencontre de leurs fans français afin de partager leur expérience sur ce métier aussi mystérieux qu’éprouvant.

Car si en France l’on doit parfois attendre plusieurs mois avant qu’un nouveau tome ne sorte, au Japon les magazines de prépublication hebdomadaires font la loi. Les Japonais sont nombreux à lire dans le métro, dès le jour de la sortie, le dernier chapitre des aventures de leur héros préféré. On peut citer parmi les magazine les plus célèbres le Weekly Shōnen Jump ou encore le Weekly Shōnen Magazine. Un support très important pour les lecteurs, mais aussi et surtout pour les éditeurs. Ces hebdomadaires constituent aujourd’hui encore le pilier de leur modèle économique. À tel point qu’un éditeur est chargé de suivre un mangaka précis à chaque étape : la présentation du scénario, du storyboard, la réalisation et la livraison. Il arrive même que l’éditeur reste dormir chez son « protégé » dans les heures précédent la deadline pour la remise des planches, entre seize et vingt par semaine. Aucun retard n’est toléré.

Weekly Shonen Jump publie chaque semaine, et ce depuis 1968, les mangas les plus populaires du pays (crédit : Kami Sama Explorer Museum http://bit.ly/ZGiyW5 )

Weekly Shonen Jump publie chaque semaine, et ce depuis 1968, les mangas les plus populaires du pays (crédit : Kami Sama Explorer Museum Flickr CC by nc sa)

Une pression supplémentaire pour le dessinateur, bien conscient de la suprématie de son patron. Un mangaka ne compte plus le nombre de ses planches préparatoires (les «nemu») rejetées avant que l’éditeur donne enfin sa bénédiction. Ce dernier a un rôle si important qu’il a droit de vie et de mort sur un manga ; il décidera de la fin de la publication ou non. Pour cela, il partage son épée de Damoclès avec le lecteur qui chaque semaine vote pour ses mangas préférés. Si l’une des publications chute dans le classement, elle disparaît très vite du magazine. On trouve ainsi des mangas au succès mondial qui s’étirent en longueur, Détective Conan comptant ainsi plus de 70 tomes. D’autres séries en revanche auront connu une fin abrupte, comme Eyeshield 21 ou auront été prolongées à tort en raison d’un fort succès populaire, comme le mythique manga Death Note, quitte à délaisser le scénario.

Attendu chaque semaine avec impatience et exigence, le mangaka se retranche dans son atelier, un lieu symbolisant à lui seul la particularité de la profession. Perdu dans le noir, le dessinateur ouvre rarement ses portes, son éditeur ne supporterait pas qu’il fasse autre chose que dessiner. Mais le mangaka n’est pas seul, ses assistants sont indispensables pour respecter les délais de livraison des planches. Parfois plus d’une demi-dizaine, chacun des assistants à un rôle précis : certains s’occupent des décors, des trames, ou encore de l’encrage, d’autres dessinent même des personnages. Une tâche si fastidieuse qu’ils sont logés et nourris au sein même de l’atelier. Le tout étant d’optimiser son temps de sommeil (4 ou 5 heures seulement par nuit) après des journées de travail durant parfois jusqu’à 15 heures. Un planning très précis et exigeant vient rythmer la vie de chaque mangaka. En 2010, Hiroshi Shiibashi, auteur de Nura le seigneur des yôkai, dévoilait son emploi du temps sur une semaine quand il travaillait pour un hebdomadaire.

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Constat accablant : seulement deux heures de sommeil le lundi, entre cinq et sept les autres jours, deux pauses d’une heure par jour pour manger, et seulement trois heures de temps libre le samedi. Les insomnies sont légions dans le métier et le stress de la page blanche est décuplé. Eiichiro Oda, auteur du célèbre One Piece, s’en amusera presque dans la préface du tome 54 de sa série : « Il semblerait que les humains soient capables de vivre jusqu’à 140 ans. Mais la pression que nous subissons chaque jour réduit notre espérance de vie petit à petit. Les mangaka subissent tellement de pression dans leur vie que je crains fort de ne pas vivre plus de 135 ans. La vie est trop courte. »

Publié en France depuis 2000, One Piece compte déjà 69 tomes. (crédit : Nomadic Lass http://bit.ly/ZGmJiF )

Publié en France depuis 2000, One Piece compte déjà 69 tomes. (crédit : Nomadic Lass Flickr CC by nc sa)

Et pourtant, Oda n’est pas l’auteur le plus à plaindre. Selon le site Yucasee Media, il aurait gagné 3,1 milliards de yens (environ 26,5 millions d’euros) pour la seule année 2011, en droits d’auteur, émissions de télévision et produits dérivés. Toujours selon le même site, les 100 mangaka japonais les plus populaires gagnaient en moyenne 3,1 milliards de yens (environ 26,5 millions d’euros) en 2009.

Pourtant, ces rares auteurs à succès ne doivent pas cacher la dure réalité du marché du manga. Pour les 5.200 autres mangaka qui ont vu leur œuvre éditée en tome relié, le revenu moyen était en 2009 de 2,8 millions de yens, presque 24.000 €. Bien moins que le salaire annuel moyen d’un employé d’une société au Japon, qui s’élevait alors à 4,09 millions de yens (environ 35.000 €). Selon le mangaka Shuho Sato, il faudrait qu’un mangaka vende 120.000 tomes par an pour égaler ce salaire. Ce qui fait dire à Moritaka Mashiro, héros du manga Bakuman, que devenir mangaka relevait du « pari ».

Car depuis quelques années, le métier semble souffrir non seulement de sa propre difficulté mais aussi d’une crise identitaire et économique. Le piratage et les publications dématérialisées sur tablette frappent de plein fouet les mangaka et leurs assistants qui refusent de se tourner vers le numérique. Les années à venir devraient donc être décisives pour l’avenir et la survie des mangaka.

Info pratique : Cette année au Salon du Livre de Paris, vous pourrez rencontrer Takehiko Inoue, Hikaru Nakamura, Fuyumi Soryo, Motoaki Hara, Li Kunwu, Junko Kawakami. Le programme complet est à retrouver ici.

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